OPUR, un observatoire d'hydrologie urbaine en Île-de-France

Thèse de William Pophillat

par Administrateur site OPUR - publié le , mis à jour le

Conséquences d’une systématisation des pratiques d’infiltration à la parcelle des pluies courantes à l’échelle du quartier – Apports de la modélisation intégrée

  • Durée de la thèse : 2018 à 2022
  • Soutenance de thèse : 13 avril 2022
  • Encadrement : Isabelle Braud (directrice de thèse), Fabrice Rodriguez (co-directeur de thèse) et Jérémie Sage (co-encadrant)

Synthèse de la thèse de William Pophillat
Thèse (manuscrit complet) de William Pophillat

La maîtrise des flux d’eau et de contaminants générés par temps de pluie en milieu urbain est un enjeu majeur pour limiter la dégradation des milieux récepteurs et les risques d’inondations. Face à l’insuffisance des systèmes historiques d’assainissement, les stratégies de gestion des eaux pluviales ont progressivement évolué vers une maîtrise à la source du ruissellement dans des dispositifs « alternatifs au réseau » et d’infiltration au plus près de leur point de chute, de manière à limiter les rejets d’eau et de contaminants vers les réseaux ou les milieux aquatiques superficiels, en conservant un fonctionnement hydrologique « naturel » des bassins versant urbains (BV) (Fletcher et al. 2013 ; Sage et al. 2015).

L’intérêt d’une infiltration à la source des eaux pluviales pour remédier aux impacts de l’urbanisation (i.e. accroissement des volumes et débits de pointe ; diminution du temps de réponse des BV ; réduction de l’infiltration...) est aujourd’hui bien établi. Les conséquences de l’urbanisation et l’infiltration des eaux pluviales sur les circulations d’eaux souterraines sont en revanche plus difficile à anticiper (ex. élévation de la recharge et du niveau des nappes, menant à des risques d’inondation par remontées de nappe, augmentation des volumes rejetés dans les réseaux d’assainissement, volumes d’exhaure à prélever au niveau du bâti, diminution des performances des dispositifs de gestion du ruissellement...). Jusqu’alors, le faible nombre d’études et le caractère singulier des sites considérés limitaient le niveau de compréhension des effets potentiels de l’infiltration ainsi que des paramètres et mécanismes les gouvernant.

Préciser l’incidence de l’infiltration des eaux pluviales sur le cycle de l’eau appelait donc à considérer une plus grande diversité de configurations climatiques, hydrogéologiques ou urbaines. Dans ce contexte, le recours à des modèles hydrologiques intégrés distribués, c’est-à-dire reposant sur un découpage des BV en plusieurs unités spatiales et permettant de tenir compte des différents processus de surface ou de subsurface ainsi que des interactions avec les milieux construits, apparaissait particulièrement pertinent.

L’objectif de cette thèse était en premier lieu de préciser les conséquences d’une systématisation de l’infiltration à la source des eaux pluviales sur le fonctionnement hydrologique de petits BV urbains dans différents contextes climatiques, hydrogéologiques et d’occupation des sols ou du sous-sol ainsi que pour différentes modalités de mise en œuvre de l’infiltration.

De façon secondaire, ce travail visait également apporter des éléments de compréhension sur les apports, limites et conditions d’applicabilité des modèles hydrologiques distribués pour l’étude du fonctionnement hydrologique de BV urbanisés soumis à une infiltration à la source des eaux pluviales.

Méthodologie

Les travaux menés dans le cadre de cette action se sont principalement appuyés sur des modélisations hydrologiques réalisées avec l’outil URBS, codéveloppé par l’Université Gustave Eiffel et le Cerema (Li 2015 ; Rodriguez et al. 2008).

Si le modèle URBS apparaissait comme l’un des rares outils offrant une représentation complète du cycle de l’eau urbain, la description du compartiment sol, qui conditionne le calcul de nombreux flux, y demeurait, comme dans l’essentiel des modèles d’hydrologie urbaine, relativement simple. Cette dernière a donc dans un premier temps été consolidée et enrichie de manière à représenter plus finement les écoulements en zone non-saturée et saturée et permettre de modéliser une plus grande variété de sols, d’aquifères et de structures souterraines. Le modèle a ensuite été utilisé pour simuler le fonctionnement hydrologique d’un ensemble de BV fictifs en faisant varier les caractéristiques de la stratégie d’infiltration, le contexte climatique, le contexte hydrogéologique et le type d’urbanisation. Une analyse statistique a été réalisée afin de déterminer les facteurs les plus influents sur la réponse hydrologique, notamment ceux concernant le compartiment souterrain. Enfin, afin d’évaluer l’applicabilité de ce type d’approche dans un cas réel, le modèle a été appliqué à un cas d’étude bien documenté situé en région parisienne sur le campus Paris-Saclay.

Consolidation du modèle URBS pour répondre aux objectifs de l’étude

Le modèle URBS peut être défini comme un modèle intégré et distribué, permettant de représenter les principaux processus hydrologiques de surface ou de subsurface à l’échelle d’unités spatiales résultant d’une discrétisation du BV d’étude. Sur chacune de ces unités spatiales, différents profils d’occupation du sol peuvent être représentés : bâti, voirie et surface naturelles (dans la version initiale du modèle). Pour chacun de ces profils, les processus hydrologiques sont modélisés en considérant 4 « réservoirs » : le couvert végétal, la surface, la zone non-saturée et la nappe. Cette description est illustrée par la Figure 1 pour la version consolidée du modèle.

Figure 1. Schéma de principe pour la modélisation des processus hydrologiques au sein d’une unité spatiale
a) division de l’unité spatiale selon différents profils d’occupation du sol (le profil « infiltration device » n’étant initialement pas présent dans URBS) ; b) flux calculés au sein d’un profil (*NB : le couvert végétal n’est pas présent pour le profil « building »)

Limites du cadre de modélisation initial : La discrétisation spatiale initialement implémentée dans URBS était basée sur la parcelle cadastrale, peu adaptée à une description fine des écoulements en nappe ou à la prise en compte d’élévations localisées du niveau de la nappe telles que celles causées par les ouvrages d’infiltration. Le sol était décrit comme un milieu semi-infini et identique en tout point du domaine d’étude, ce qui limitait l’application de l’outil à une diversité de contextes hydrogéologiques.

Principaux développements apportés : Entre autres, la possibilité de définir un second niveau de discrétisation dédié au calcul des écoulements en nappe et permettant d’affiner localement l’estimation des interactions avec les ouvrages d’infiltrations ou les structures souterraines a été introduite. La description du sol a aussi été adaptée afin d’étendre le domaine d’application de l’outil à une plus grande diversité de contexte hydrogéologique (sol homogène ou stratifié avec un substratum imperméable).

Les modifications apportées à la description du compartiment souterrain ont été évaluées par comparaison à des modèles de référence sur une série de cas test : FEFLOW pour la zone-saturée (nappe) et HYDRUS-1D pour la zone non-saturée. Les différents développements ont été testés de manière ciblée, en considérant dans un premier temps séparément zone-non saturée et saturée, puis dans un second temps le couplage de ces deux compartiments.

Analyse théorique des facteurs et mécanismes influençant la réponse d’un BV à l’infiltration

L’identification des facteurs et mécanismes influençant la réponse hydrologique des BV à une infiltration à la source des eaux pluviales a été menée à partir de simulations numériques. Le travail s’est articulé autour :

  1. d’une étude préalable du rôle potentiel des interactions entre volumes infiltrés, nappe et structures souterraines sur les effets de l’infiltration en contexte de nappe peu profonde pour un BV fictif
  2. d’une analyse générique des effets de l’infiltration pour une diversité de contextes climatique, hydrogéologique, urbain et pour différentes modalités de mise en œuvre de l’infiltration (Figure 2). Les simulations sont réalisées à partir de la version consolidée du modèle URBS.
Figure 2. Schéma de principe pour l’analyse générique des facteurs contrôlant la réponse d’un BV à une infiltration à la source des eaux pluviales urbaines

Trois types de climats (Nantais, Parisien et Montpelliérain) et de tissu urbain (lotissement, commercial et urbain dense) ont été considérés. L’hydrogéologie a été décrite à travers 5 facteurs (dont les caractéristiques du sol de surface et de la couche sous-jacente) déclinés en trois modalités (par exemple, pour les caractéristiques du sol : peu perméable, moyennement perméable et perméable). Pour les modalités de gestion des eaux pluviales, trois niveaux de répartition des ouvrages (centralisé, médian, intermédiaire) et deux valeurs de rapport entre surface d’infiltration et surface d’apport (2 et 10%) ont été considérés.

L’hypothèse retenue pour le dimensionnement des ouvrages d’infiltration est celle d’une capacité équivalant à 10 mm de précipitation sur leurs surfaces d’apport. Pour chaque configuration possible, l’impact de l’infiltration est analysé en comparant le fonctionnement hydrologique du système « avec infiltration » à celui modélisé « sans infiltration » et pour un hypothétique état « pré-développement », i.e. sans urbanisation. Les simulations ont été réalisées pour une période de 4 ans correspondant à un fonctionnement stabilisé du système. Différents outils d’analyse factorielle ainsi que différents tests statistiques ont été mobilisés pour étudier les résultats associés au plus de 20 000 simulations réalisées.

Diagnostic du modèle URBS à partir d’une application à la ZAC du Moulon

La ZAC du Moulon est un quartier en cours d’aménagement situé au cœur du projet de campus urbain Paris-Saclay. Ce secteur fait l’objet d’une caractérisation et d’un suivi hydrogéologique depuis 2011 dans le cadre d’un partenariat de recherche entre le Cerema, l’Université Gustave Eiffel et l’établissement public d’aménagement Paris-Saclay. Cette zone avait également servi de cas d’étude à de précédentes étapes du développement du modèle URBS. Dans le cadre de cette action de recherche, une nouvelle application de l’outil à ce secteur a été réalisée afin d’établir un premier diagnostic de la nouvelle version du modèle (i.e. intégrant les développements cités plus haut).

Caractéristiques de la zone d’étude et données disponibles : Le domaine considéré couvre une surface d’environ 320 ha présentant une faible pente. Le contexte hydrogéologique du site est relativement complexe, avec une succession de formations peu perméables (limons et argiles plus ou compactes) baignées par une nappe superficielle peu profonde. Cette nappe alimente elle-même en sa base un second système aquifère d’extension régionale (nappe des sables de Fontainebleau). Le diagnostic du modèle s’est ici limité à la période 2012 – 2015 pour laquelle des données météorologiques ainsi que mesures en continu des niveaux de la nappe superficielle en 6 points de la zone étaient disponibles. Sur cette période, le secteur, encore relativement peu aménagé, était constitué d’environ 42% de surface urbaines et agricoles et 15% de zones boisées. Plusieurs bâtiments sont équipés de sous-sols avec ou sans systèmes drainage. Pour la période considérée, la gestion des eaux pluviales reposait principalement sur un réseau séparatif.
L’occupation du sol et du sous-sol est synthétisée dans la figure 3 ci-après :

Figure 3. Occupation du sol et du sous-sol de la zone d’étude pour la période considérée

Application du modèle et confrontation aux observations : La description du compartiment souterrain s’est limitée aux formations baignées par la nappe superficielle. Trois couches d’épaisseur variable à l’échelle de la zone d’étude étaient ainsi décrites : le sol superficiel, un niveau limoneux et un niveau argileux. La possibilité de simuler des flux vers les horizons plus profonds a été rendue possible en associant une perméabilité non-nulle à la base du domaine. Les parcelles agricoles ont été représentées via le profil « naturel » de URBS en considérant par ailleurs la présence de drains à une profondeur de 1 m (conformément aux informations disponibles). Les simulations réalisées (en continu, au pas de temps 5-min) correspondaient à la période 2010 – 2015 (les deux premières années étant destinées à l’initialisation du modèle et notamment des niveaux de nappe). Les résultats du modèle ont été évalués sur la base d’une comparaison entres niveaux de nappes simulés et observés pour la période 2012 – 2015.

L’application du modèle nécessitait, pour ce cas d’étude, de renseigner une trentaine de paramètres dont la valeur ne pouvait être précisément établie a priori. Une analyse de sensibilité a donc dans un premier temps été effectuée afin de comprendre l’influence relative des différents paramètres sur les sorties du modèle. Une approche de type Monte-Carlo a ensuite été utilisée pour identifier les configurations (jeux de paramètres) conduisant à reproduire de façon satisfaisante les niveaux de nappes observés : environ 1600 simulations sont ainsi réalisées après échantillonnage quasi-aléatoire dans l’espace des paramètres.

Résultats

Bilans des développements apportés au modèle URBS

Les différentes comparaisons effectuées entre les résultats fournis par le module de représentation du compartiment souterrain et les modèles de référence HYDRUS et FEFLOW ont permis de confirmer la capacité du premier à simuler :

  1. l’infiltration, la transpiration, les échanges avec la nappe et l’évolution du profil de teneur en eau pour des sols homogènes ou stratifiés ;
  2. les écoulements de nappe dans des milieux homogène ou hétérogènes pour des maillages irréguliers ;
  3. les interactions entre nappe et structures souterraines ;
  4. les variations conjointes des niveaux de nappe et de la teneur en eau du sol sous l’effet d’un flux d’infiltration variable dans l’espace.
    Une illustration de ces résultats est fournie dans la Figure 4.
Figure 4. Exemples de résultats de l’évaluation du module développé pour consolider la description du compartiment souterrain
a) Flux de transpiration et d’échange avec la nappe simulés avec URBS (en rouge) et HYDRUS-1D (en noir) dans une colonne de sol homogène ; b) niveaux de nappe simulés par URBS (en rouge) et FEFLOW (en noir) sous l’effet d’une infiltration hétérogène.

L’intégration du module dans URBS a ainsi permis d’aboutir à un outil complet, autorisant la prise en compte de processus et interactions fréquemment négligés (ou, au mieux, décrits de façon très approximative) dans les modèles usuels d’hydrologie urbaine. La relative simplicité des développements apportés, en comparaison d’approches de modélisation hydrogéologiques plus classiques, a par ailleurs permis d’envisager dans le cadre de ce travail l’application de URBS à de larges ensembles de simulations.

Facteurs et mécanismes influençant la réponse d’un BV à l’infiltration

L’identification des facteurs et mécanismes influençant la réponse d’un BV à une systématisation de
l’infiltration des eaux pluviales s’est appuyée sur l’ensemble plus large de scénarios construit par variation systématique des facteurs caractérisant les contextes climatiques, hydrogéologique, urbain ainsi que des modalités de mise en œuvre de l’infiltration. Pour ce second ensemble de simulations, les conséquences de l’infiltration ont d’abord été évaluées de façon globale, en analysant notamment la distribution des termes du bilan hydrologique suivant les différents facteurs considérés et en comparant les résultats « avec infiltration » à ceux obtenus pour les scénarios de référence « sans infiltration » ou « pré-développement ». Une analyse plus détaillée a ensuite été menée en se focalisant d’abord sur le fonctionnement des ouvrages d’infiltration, puis sur l’effet de ces derniers sur les niveaux de nappes et les processus en dépendant.

Analyse préalable du rôle des interactions entre surface et subsurface sur l’impact de l’infiltration : Le premier ensemble de simulations a permis de mettre en évidence la forte hétérogénéité spatiale et la variabilité temporelle des élévations du niveau de la nappe causée par l’infiltration des eaux pluviales. Ces élévations, plus élevées pour un milieu souterrain peu perméable, sont susceptibles de donner lieu à des interactions localisées avec les objets du sous-sol urbain, mais aussi les espaces verts adjacents au niveau desquels la transpiration peut être accrue du fait de remontées capillaires. Les interactions avec les objets du sous-sol urbain affectent à leur tour fortement les écoulements souterrains ainsi que les niveaux de nappe. Elles se répercutent sur le bilan hydrologique avec un accroissement significatif des volumes drainés par les réseaux ou les systèmes de drainage en base de bâtiment. Pour le cas d’aquifères faiblement transmissifs, la réponse à l’infiltration des eaux pluviales apparaît ainsi potentiellement très dépendante de telles interactions, généralement peu ou pas représentées dans les modèles usuels d’hydrologie urbaine. Au-delà des mécanismes mis évidence et de leur impact sur la réponse d’un BV à l’infiltration, cette première application a donc permis de souligner l’intérêt d’une approche associant représentation de l’hydrologie de surface et description détaillée du compartiment souterrain (telle celle développée autour du modèle URBS) par rapport à des outils d’hydrologie urbaine plus « classiques » reposant sur une description simplifiée du sous-sol urbain.

Analyse plus globale - Tendance sur les principaux termes du bilan hydrologique : Les multiples simulations réalisées par la suite visaient à appréhender de façon plus systématique l’impact de l’infiltration, en considérant une diversité de contextes de mise en œuvre. Une analyse en composante principale (ACP) portant sur les termes du bilan hydrologique a dans un premier été réalisée afin de visualiser l’impact de l’infiltration et sa variabilité pour les configurations considérées (Figure 5). Cette dernière a révélé que si la mise en œuvre des ouvrages d’infiltration pouvait contribuer à rétablir le volume d’infiltration (IF) « pré-développement », elle ne contribuait en revanche qu’à un accroissement limité de l’évaporation de surface (EV) et de la transpiration (RE). L’infiltration à la source des eaux pluviales s’accompagne donc potentiellement d’une très nette élévation de la recharge (GR), dont la valeur excède le plus souvent le niveau « pré-développement ». Il ena résulte un accroissement des stocks souterrains (SS) (principalement du niveau de la nappe) mais aussi du drainage par les structures souterraines (DR) et dans une moindre mesure de l’écoulement souterrain à l’aval du domaine (BC).

Au-delà de ces tendances, l’analyse a également permis de mettre en lumière la forte variabilité de la réponse à l’infiltration (visible dans la Figure 5 à travers la dispersion des résultats associés aux scénarios avec infiltration). Le bilan hydrologique apparait ainsi principalement contrôlé par le type d’urbanisation, le contexte météorologique, les caractéristiques du sol et dans une moindre mesure par le niveau de distribution des ouvrages (i.e. concentré, médian ou distribué) ainsi que le ratio entre surface d’infiltration et surface d’apport (ici 2 ou 10%).

Figure 5. Distribution des principaux termes du bilan hydrologique pour les simulations avec ouvrages d’infiltration (SimOI) et les cas de référence « urbain » (RefUrb) et « pré-développement » (RefPre)
A) et C) cercle des corrélations du plan (1,2) et (1,3) de l’ACP ; B) et D) répartition des simulations sur les plans (1,2) et (1,3) ; E) diagrammes en violons.

Analyse plus globale - Principaux résultats à l’échelle de l’ouvrage : les abattements volumiques produits par les ouvrages d’infiltration se sont avérés significatifs dans l’ensemble des contextes modélisés. De façon prévisible, un effet direct de la pluviométrie et des caractéristiques du sol (principalement de surface) a été observé, avec des abattements plus limités pour les sols peu perméables et pour le contexte montpelliérain, caractérisé par des pluies moins fréquentes et plus intenses. Les résultats ont également mis en évidence un effet indirect de ces facteurs résultant des interactions entre nappe et ouvrages, lesquelles s’accompagne d’une diminution significative des abattements. Outre l’influence de facteurs hydrogéologique (et notamment la profondeur de la nappe ou encore la perméabilité du sol sous-jacent contrôlant la transmissivité de l’aquifère), les résultats soulignent le rôle majeur du ratio entre surface d’infiltration et surface d’apport traduisant le niveau de concentration spatiale de l’infiltration. Ce ratio a également été identifié comme un facteur déterminant dans la partition entre recharge et évapotranspiration. Toutefois, pour les valeurs testées (2 et 10%), la proportion des volumes infiltrés retournant vers l’atmosphère par évapotranspiration demeure limitée (d’où l’accroissement de la recharge évoqué plus haut).

Analyse plus globale - Principaux résultats à l’échelle du BV : Pour une majorité de simulations, l’infiltration des eaux pluviales s’est accompagnée d’une élévation significative du niveau des nappes au droit du secteur concerné par l’infiltration mais aussi potentiellement en amont ou en aval. L’élévation au droit du secteur où l’infiltration est mise en œuvre, apparaît principalement contrôlée par la perméabilité du sol sous-jacent conditionnant la capacité à évacuer latéralement les volumes infiltrés. Une influence du régime de précipitation et du type d’urbanisation a également été mise en évidence, les contextes associés à des volumes de ruissellement plus importants (volume annuel de précipitations élevé et part importante de surface revêtue) étant associé à des élévations plus importantes. Dans la plupart des simulations, cette élévation du niveau de la nappe est caractérisée par une forte variabilité spatiale, en particulier pour les milieux peu perméables. Cette dernière résulte de la concentration spatiale de l’infiltration dans les ouvrages et des interactions avec les structures souterraines susceptible d’induire des rabattements localement importants. Les résultats ont par ailleurs mis en évidence des modifications de la dynamique temporelle de la recharge, se traduisant notamment par des fluctuations plus rapides des niveaux de nappe.

Trois situations ont été distinguées quant au devenir majoritaire de la recharge additionnelle associée à l’infiltration : contribution à la transpiration ; drainage par les structures souterraines ou écoulement souterrain vers l’aval (cf. Figure 6). Pour plus de la moitié des simulations, les niveaux de nappes atteints après mise en œuvre de l’infiltration demeurent bas et ne donnent lieu qu’à des interactions réduites avec la végétation ou les structures souterraines : le volume infiltré contribue alors majoritairement à l’augmentation des écoulements en nappe. Une autre part importante des simulations correspond à des configurations pour lesquelles la mise en œuvre de l’infiltration s’accompagne d’un accroissement significatif du drainage par les structures souterraines, avec des volumes susceptibles de représenter une part importante des volumes infiltrés dans les ouvrages. Ce cas de figure illustre la possibilité que l’infiltration des eaux pluviales ne contribue pas pleinement à réduire les volumes transitant vers les réseaux (bien que modifiant très significativement les dynamiques d’apports vers ces derniers). Enfin, pour un nombre plus réduit de configurations ( 8%), l’élévation du niveau de la nappe à l’échelle du BV se traduit par accroissement de la transpiration sur les espaces verts. Ces configurations sont caractérisées par un sol de surface peu perméable, une nappe peu profonde et une demande évapotranspirative importante (climat montpelliérain).

Figure 6. Résultats d’une ACP sur la variation suite à la mise en œuvre de l’infiltration de : la transpiration par rapport au cas « sans infiltration » (RRE) ; du drainage par les structure souterraine par rapport au cas sans infiltration (RDR) ; du volume sortant à l’aval du domaine (RBC). Mise en évidence de 3 familles de comportement (à partir d’une classification ascendante hiérarchique)
Résultats de l’application du modèle URBS à la ZAC du Moulon

L’analyse de sensibilité a permis de mettre en évidence le rôle prépondérant des paramètres hydrogéologiques (conductivité hydraulique et épaisseur des différentes formations, pertes en limite inférieure du domaine de modélisation) ainsi que de ceux liés à la transpiration dans le fonctionnement hydrologique simulé. Pour la majorité des paramètres, des effets non-monotones, non-linéaires ou impliquant des interactions avec d’autres paramètres, se traduisant par une réponse complexe du modèle ont été observés, justifiant le recours à une approche de type Monte-Carlo pour l’identification de configurations « satisfaisantes ».

Seul un nombre limité de simulations parmi les 1600 réalisées ont conduit à reproduire correctement (critère de Nash supérieur à 0) les niveaux de nappes observés. Pour certains piézomètres, une proportion assez significative (>15%) de simulations est associée à une bonne reproduction des niveaux de nappes observés. Pour d’autres, le modèle ne semble pas en mesure de produire des résultats satisfaisants, suggérant que certains aspects du fonctionnement hydrogéologique de la zone d’étude ne sont pas correctement représentés (cf. Figure 7). Si de bons résultats ont globalement pu être obtenus pour les piézomètres pris individuellement, l’exercice a mis en évidence la difficulté à reproduire de façon simultanée les niveaux de nappes aux différents points d’observation. Ce constat est en partie expliqué par la description encore élémentaire de la végétation dans le modèle, bien qu’hétérogène à l’échelle de la zone d’étude (comprenant espaces verts urbains, zones agricoles et zones boisées). Il suggère également qu’une prise en compte plus fine de l’hétérogénéité du compartiment souterrain serait nécessaire pour mieux reproduire le fonctionnement observé.

Figure 7. Courbe enveloppe (faisceau bleu) et moyenne (ligne bleue) des vingt-cinq simulations présentant les valeurs du critère de Nash les plus élevées pour les piézomètres A, B, C, D, E et I pris indépendamment, et niveaux observés (ligne noire)

L’analyse s’est ensuite focalisée sur les configurations conduisant à décrire au mieux les niveaux de nappes sur plusieurs piézomètres simultanément (critère de Nash supérieur à 0.4 sur au moins trois piézomètres). 9 configurations ont ainsi été retenues. Ces dernières sont caractérisées par une dispersion assez significative des paramètres du modèle (notamment ceux identifiés comme les plus influents) se traduisant par une incertitude sur certains termes du bilan hydrologique, notamment la transpiration (39 à 68% des précipitations), la recharge (2 à 19% des précipitations), le drainage par les structures souterraines (8 à 20% des précipitations). Les résultats obtenus restent néanmoins cohérents avec les estimations produites lors des travaux antérieurs.

De manière plus générale, l’application a permet de souligner le rôle central des interactions entre hydrologie de surface et hydrologie souterraine dans le fonctionnement, confirmant l’intérêt pour un tel contexte de l’approche de modélisation développée dans le cadre de cette action de recherche.

Conclusions

Cette action, consacrée à l’étude des potentielles conséquences de l’infiltration à la source des pluies courantes sur le fonctionnement hydrologique de petits BV urbains, s’est principalement appuyée sur des travaux de modélisation réalisés à partir de l’outil URBS auquel d’importantes modifications ont été apportées afin de répondre aux objectifs visés.

Ces développements ont permis d’analyser à partir d’un grand ensemble de simulations pour des BV fictifs mais réalistes i) le rôle des interactions entre volumes infiltrés, nappe et structures souterraines sur les effets de l’infiltration en contexte de nappe peu profonde et ii) l’influence des facteurs climatique, hydrogéologique, urbain et des caractéristiques des stratégies d’infiltration sur la réponse hydrologique du BV. Le modèle a ensuite été testé sur un cas d’étude réel, la ZAC du Moulon, afin de d’évaluer son applicabilité, son intérêt et ses limites dans des contextes de recherche ou plus opérationnels.

Contribution au développement du modèle URBS : les développements se sont concentrés sur la consolidation de la description du compartiment souterrain, permettant d’aboutir à un cadre de modélisation original et complémentaire des outils existants (modèles d’hydrologie urbaine plus classiques ou modèles hydrogéologiques plus détaillés). Le modèle apparaît en particulier adapté à une évaluation (sur de longues périodes et à pas de temps fin) des effets des stratégies d’infiltration à l’échelle du quartier ou de petits BV urbains. Il présente également l’avantage de conserver une description relativement simple du milieu et des processus, garantissant ainsi des temps de calcul raisonnables, propice à des applications impliquant de multiples scénarios, par exemple, pour tenir compte d’incertitude sur la composition du compartiment souterrain ou plus largement sur la paramétrisation du modèle.

Conséquences de l’infiltration à la source des eaux pluviales : les effets potentiels d’une généralisation de l’infiltration à la source des eaux pluviales ont été analysés à partir d’un ensemble de scénarios théoriques couvrant une diversité de contextes climatique, hydrogéologique et urbains. Les résultats confirment la capacité des stratégies d’infiltration à la source à abattre les volumes ruisselés, y compris dans des contextes peu favorables (sols peu perméables). L’analyse indique toutefois que les interactions entre nappe et ouvrage, particulièrement fortes dans des contextes de nappe peu profondes, d’aquifère peu transmissifs ou pour des dispositifs recevant des volumes élevés (dans l’absolu et relativement à leur surface), sont susceptibles de dégrader cette capacité d’abattement.

La très faible proportion des volumes de ruissellement transmis aux ouvrages retournant vers l’atmosphère par évapotranspiration se traduit par un accroissement potentiellement significatif de la recharge à l’échelle du BV, d’autant plus marqué que les ouvrages concentrent spatialement le ruissellement et dépendant par ailleurs du contexte climatique (conditionnant la demande évaporative) et des caractéristiques du sol (conditionnant la disponibilité en eau). La recharge induite par les ouvrages excède alors celles qu’aurait générée une infiltration des eaux pluviales sur une surface naturelle d’extension équivalente à la surface d’apport des ouvrages. Cet accroissement de la recharge est susceptible de générer une élévation significative du niveau de la nappe, dépendant (à recharge additionnelle égale) du contexte hydrogéologique, en particulier de la transmissivité de l’aquifère.

L’élévation globale du niveau de la nappe peut se traduire, dans les contextes de nappe peu ou modérément profondes, par des interactions accrues et potentiellement non souhaitées avec les structures souterraines. Les volumes de nappe interceptés de façon intentionnelle (sous-sols drainés) ou non (infiltration parasite dans les réseaux), rejoignant in-fine le système d’assainissement, peuvent alors représenter une proportion significative des volumes infiltrés. Au-delà de cette élévation globale du niveau de la nappe, la mise en œuvre de l’infiltration se traduit par des surélévations temporaires et localisées au niveau des ouvrages, donnant ainsi lieu à des interactions avec la végétation ou les structures souterraines dont l’influence sur le fonctionnement hydrologique du BV peut s’avérer significative et conditionner l’impact de l’infiltration (non seulement sur le ruissellement mais aussi sur les autres termes du bilan hydrologique).

De façon plus opérationnelle, les résultats suggèrent que le dimensionnement des ouvrages d’infiltration, dans des contextes de nappe profonde, gagnerait à ne pas se limiter aux règles actuelles basées sur le respect d’une distance minimale entre radier de l’ouvrage et toit de la nappe. Des approches analytiques relativement simples pourraient notamment être utilisées afin d’anticiper le potentiel d’interaction avec les nappes et avec des structures souterraines voisines. De façon plus générale, il apparaît préférable, pour ces contextes sensibles, de favoriser des ouvrages de faible dimension et concentrant peu les volumes de ruissellement. A plus grande échelle, ce travail met en évidence les limites d’un raisonnement uniquement fondé sur une capacité d’abattement du ruissellement pour l’évaluation des stratégies de gestion des eaux pluviales et souligne l’intérêt d’une prise en compte des conséquences sur la recharge, en particulier dans les contextes ou les élévations de la nappe sont susceptibles d’avoir des conséquences indésirables. Les résultats mettent également en lumière les limites d’une gestion des eaux pluviales reposant uniquement sur des ouvrages d’infiltration pour le rétablissement d’un bilan hydrologique « pré-développement », la maîtrise de la recharge ou l’accroissement de l’évapotranspiration.

Compte tenu de la faible contribution de l’évapotranspiration à l’abattement dans les ouvrages d’infiltration, il apparaît pertinent de les envisager en combinaison de solutions favorisant la rétention (ex : toiture végétalisés) et d’une maîtrise de l’imperméabilisation pour maximiser l’évapotranspiration. Enfin, l’analyse souligne l’importance du contexte local sur les conséquences de l’infiltration. Une planification reposant sur des règles définies localement, tenant d’avantage compte des opportunités et limites liées au contexte climatique, hydrogéologique et d’occupation des sols et sous-sol, pourra donc s’avérer pertinente dans la perspective d’une systématisation de l’infiltration à la source des pluies courantes.

Apports, limite et cadre d’applicabilité des modèle hydrologiques distribués : L’analyse des conséquences de l’infiltration à la source des eaux pluviales menée avec le modèle URBS illustre clairement l’intérêt de ce type d’outils pour approfondir la compréhension du fonctionnement hydrologique des milieux urbains. L’application de URBS à la ZAC de Moulon a toutefois mis en évidence certaines limites de l’outil et plus généralement les difficultés que soulèverait l’utilisation de ce type de modèle dans des contextes plus opérationnels. Parmi les pistes d’amélioration identifiées, figure la perspective de mieux de rendre compte de la variabilité des caractéristiques et du cycle de vie du végétal sur le flux d’évapotranspiration, particulièrement souhaitable pour des BV partiellement urbanisés caractérisés par des formes de végétation tantôt « naturelles », urbaines ou agricoles. Des développements complémentaires pourraient également être envisagés pour étendre la gamme d’ouvrages représentés (ici limitée à des dispositifs de conception assez élémentaire). Les principales difficultés dans l’application d’outils tels que URBS à des cas d’étude réels sont en premier lieu d’ordre méthodologiques et surtout liées à leur paramétrisation. L’impossibilité d’identifier a priori des jeux de paramètres acceptables sur la base des informations usuellement disponibles impose en effet de recourir à des approches « multi-scénarios » (i.e. considérant différentes paramétrisations plausibles) dont la mise en œuvre demeure complexe et coûteuse en temps de calcul. Devant ces contraintes et compte tenu des fortes des incertitudes sur la composition du sous-sol urbain, la possibilité de tendre vers des représentation plus agrégées, compatibles avec une connaissance dégradée du système modélisé pourrait à l’avenir être explorée.