Approche historique des politiques biogéochimiques

L’horizon de circularité des systèmes alimentation/excrétion urbains peut s’appuyer sur des exemples historiques. Au XIXe siècle, certaines villes françaises ont atteint des niveaux importants de valorisation des ressources contenues dans les excrétats humains. Que nous enseignent ces modèles passés pour construire les modèles de demain ?

Cette question est abordée dans le cadre de la thèse d’Etienne Dufour, encadrée par Sabine Barles (Géographie-cités) en partenariat CIFRE avec la mairie de Paris. Elle a fait l’objet à l’automne 2019 du stage d’Adèle Mathey étudiante à AgroParisTech, pour le cas de la région lilloise et de l’épandage « à la flamande » des matières de vidange (encadrée par Fabien Esculier, LEESU). Elle sous-tend enfin la réflexion menée par Emmanuel Adler au sein de sa thèse soutenue début 2020 (encadrée par Bruno Tassin et Eric Baratay). Ce dernier poursuit en 2023 son enquête avec le projet Histoire de matières organiques (Une étude historique sur la gestion des résidus organiques sur le territoire du Syctom).


Une histoire des politiques biogéochimiques de l’agglomération parisienne de 1945 aux années 1990.

Thèse en cours de réalisation. Etienne Dufour, sous la direction de Sabine Barles.

Les grands cycles naturels des éléments biogènes, en particulier ceux de l’azote et du phosphore, sont très largement perturbés par les activités industrielles humaines. En particulier, certaines techniques agricoles et urbaines, comme le recours intensif aux engrais chimiques, le traitement des eaux usées en station d’épuration ou l’incinération des déchets solides génère l’ouverture de ces cycles : ces substances vitales ne sont plus recyclées mais dispersées massivement dans l’environnement, générant de nombreux dommages écologiques et sanitaires. L’objet de cette thèse en aménagement du territoire est, au travers une approche historique et en mobilisant les concepts et méthodes de l’écologie territoriale, d’étudier comment s’est mis en place depuis l’après-seconde guerre mondiale jusqu’aux années 1990 ce système socioécologique et sociotechnique particulier dans un territoire spécifique : celui de la région parisienne. Un objectif de cette recherche est de révéler autant la contingence de ces développements techniques que les choix implicites et explicites dont ils découlent. Un deuxième est de repérer et déconstruire certains verrous qui empêchent l’émergence de techniques alternatives de gestion de ces éléments chimiques. Un dernier enfin est d’explorer les alternatives passées au système actuel (compostage industriel des ordures, épandage agricole des eaux usées ou des matières de vidanges,…) qui pourraient bien inspirer des bifurcations futures alors que s’accentue une certaine urgence environnementale et sociale.


La gestion des déjections humaines : un défi urbain. Le cas de la ville de Lyon, de la fin du 18e au début du 20e siècle

Emmanuel Adler, 2020. Thèse de doctorat de l’Université Paris-Est. Sous la direction de Bruno Tassin (LEESU) et Eric Baratay.

Cette thèse a pour objet d’apporter un éclairage sur les conditions de gestion des déjections humaines dans une double perspective technique et historique. Le sujet technique concerne les conditions d’évolution des systèmes mis en œuvre par les êtres humains pour soustraire à leur environnement les déjections. Il s’agit d’étudier le volet excrémentiel de l’assainissement, depuis les premiers équipements et objets en contact direct avec les matières solides et liquides, les conduites et fosses occupées plus ou moins longtemps, jusqu’aux opérations de vidange/transformation pour conclure sur la victoire du tout-à-l’égout. La période retenue (de la fin du XVIIIe jusqu’au début du XXe s. permet d’appréhender l’essor d’une activité aux multiples connexions (techniques, scientifiques, politique publique, justice…). En effet, cet intervalle correspond à une radicale transformation des activités en relation avec la gestion des matières fécales produites par les habitants des grandes villes. Dans une progression rythmée par des tensions et des crises, le système d’assainissement des déjections humaines de la cité se restructure en réseau, contrôlé par un nombre croissant d’acteurs, mais également de procédés techniques, de règlementations, et bien sûr pour en assurer le fonctionnement, de mécanismes financiers. La recherche effectuée s’est portée avec une attention particulière sur la ville de Lyon, jusqu’ici relativement peu considérée sous cet angle.  La conclusion synthétique de cette recherche est de constater que l’assainissement humain, nécessité primaire des cités, tend à se ramifier au fil du temps sous l’influence de divers facteurs.


Le retour aux sols agricoles des excrétats humains au XIXe siècle dans les Flandres : le succès de l’engrais flamand.

Adèle Mathey, 2020. Stage de césure AgroParisTech, sous la direction de Fabien Esculier.

Dans un contexte de perturbation des grands équilibres planétaires, la gestion des ressources naturelles est un enjeu important. Il convient que les grands cycles biogéochimiques restent à l’équilibre et que les ressources en eau, carbone, azote, phosphore… soient gérées de manière durable. Or, dans le cas de l’alimentation des êtres humains, ces principes ne sont peu ou pas respectés. En particulier, la gestion actuelle des excrétats humains, en France, ne permet pas un retour au sol des éléments que nous ingérons, participant à une ouverture des cycles biogéochimiques et une dépendance accrue en ressources fossiles. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

Le stage que j’ai effectué au LEESU, dans le cadre du programme OCAPI, porte sur cette thématique et en particulier sur les pratiques de retour aux sols agricoles des excrétats humains dans les Flandres au XIXe siècle, via l’engrais flamand (utilisation de matières fécales et d’urines, sans transformation notable, comme fertilisant), et la circularité des systèmes alimentation/excrétion associés. Pour mener cette recherche historique, j’ai d’abord mené une recherche bibliographique, cherchant des ouvrages traitant de la gestion des matières fécales et urines, des engrais, de l’agriculture et de l’assainissement au XIXe siècle dans les Flandres. A partir de ces sources, j’ai étudié les modes d’utilisation de l’engrais flamand et ai tenté de localiser et de périodiser son usage.

Ainsi, l’engrais flamand semble avoir connu un succès notable dans la première partie du XIXe siècle, il est alors objet de commerce et on porte grand soin à son stockage et son transport. Cependant, dès le milieu du siècle, son usage paraît décliner, en première analyse en raison des inconvénients liés à sa manipulation, de l’arrivée de nouveaux engrais sur le marché et du mouvement hygiéniste. Dès le début du XXe siècle, Calmette entreprend des recherches sur l’épuration des eaux d’égout contenant des matières fécales et urines. En un siècle, nous passons d’une logique de valorisation des excrétats humains (engrais flamand) à une logique de tout-à-l’égout et d’épuration (station d’épuration de la Madeleine). Ce rapport présente donc les premiers résultats d’une recherche exploratoire. Il pourra servir de base pour l’étude plus approfondie des pratiques d’utilisation de l’engrais flamand au XIXe siècle et de la trajectoire socio-écologique de la gestion des excrétats humains à Lille du XIXe au XXIe siècle.